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mercredi 29 décembre 2021

Le Prêteur ne s'occupe pas des détails

 


                                                                               « De minimis non curat praetor »

                                                                                                             Adage de droit romain

 

Monsieur et Madame Dupont ont deux enfants.

 

Leur fille, passionnée de langues étrangères, a parcouru sans difficulté toute l’Europe grâce à l’Espace Schengen au cours de voyages touristiques et culturels.

 

A l’occasion de ses périples, elle a rencontré l’Amour et s’est mariée avec un allemand.

Le jeune couple s’est installé provisoirement à Hambourg mais il envisage, peut-être, d’aller vivre soit au Danemark, soit en Finlande.

 

Quant à leur fils, il y a quelques années, grâce au programme Erasmus, il a terminé son cycle universitaire à Londres où il s’est installé provisoirement et où il a également  rencontré l’Amour : il s’est marié avec une belge.

Ils envisagent peut-être d’aller s’installer ultérieurement en Californie. Ces mesures transfrontalières plébiscitent les mesures concrètes adoptées au sein de l’Union Européenne telle le système Erasmus ou la libre circulation des personnes au sein de l’Espace Schengen.

 

Monsieur et Madame Dupont, qui avancent en âge, se sont décidés à consentir une donation-partage à leurs deux enfants en se réservant l’usufruit sur les biens donnés tant pour les actifs français que pour les biens immobiliers possédés à l’étranger, notamment un petit appartement à Londres et une villa en bord de mer en Italie.

 

Transmission, pas de réglementation européenne au plan fiscal

 

Ils décident d’aller voir leur notaire pour connaître les modalités et le coût d’un tel acte, persuadés que cela ne doit poser aucun problème car ils ont lu dans la presse que l’Union Européenne a mis en place un règlement relatif aux successions transfrontalières.

 

Au cours de leur entretien, ils découvrent avec stupeur que leur projet de donation est d’une complexité inextricable ! leur notaire leur explique, en effet, que le règlement européen dont ils font état ne concerne que les successions et les donations et uniquement sur le plan du droit civil, et non sur le plan fiscal ; Bruxelles ne s’est pas préoccupée des conséquences fiscales des successions transfrontalières. Et pourtant cet aspect est essentiel pour tous les contribuables.

 

Pas de notion d’usufruit dans les pays anglo-saxons

 

En outre, il leur précise qu’une donation avec réserve d’usufruit pose un problème par rapport au pays dits de « common law » tels que la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis.

En effet, dans ces pays, la notion d’usufruit, telle qu’elle résulte du Code Civil et du droit de la quasi-totalité des pays de l’Europe continentale, n’existe pas et sa traduction ne correspond pas à la définition juridique du mot « usufruit » en France.

Aussi, au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire héritera de la pleine propriété, mais s’il se trouve en Grande-Bretagne il pourrait être assujetti à trois impositions, contrairement au système français où l’extinction de l’usufruit n’entraîne aucune taxation.

 

Ledit propriétaire pourrait être alors amené à régler les impôts suivants :

 

·       - un impôt dit « inheritance tax » - droits de succession sur le bien comme s’il avait été donné en pleine propriété,

 

·       - un impôt dit « exit charge » - au titre de la disparition de l’usufruit,

 

·       - un impôt dit « capital gain tax » - au titre de la plus-value intervenue entre la date du décès du donateur et l’enregistrement de la pleine propriété au nom du nu-propriétaire donataire.

 

C’est là la première désillusion pour Monsieur et Madame Dupont puisque leur fils envisage soit de rester en Grande-Bretagne, soit de s’installer aux Etats-Unis, pays de « common law ».

 

Seules trois conventions pour éviter une double-imposition dans l’UE

 

Leur notaire leur indique également que la France n’a signé que trois conventions pour éviter une double-imposition au sein de l’Union Européenne en matière de donation, à savoir : avec l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie.

 

L’absence de convention pour éviter une double-imposition en matière de donation transfrontalière avec la quasi-totalité des pays de l’Union Européenne, a pour conséquence que dans certains cas la donation sera taxable en France mais éventuellement dans le pays où vit l’enfant donataire, avec possibilité, pour certains pays, d’imputer en France sur les droits dus à la France, les droits payés dans le pays étranger.

Il s’agit là d’une seconde désillusion pour les époux Dupont.

 

Un véritable imbroglio juridique et fiscal européen

 

Il complète son propos pour indiquer que la donation-partage est un acte qui n’existe pas dans certains pays, notamment en Italie, et qu’il n’est donc pas possible de faire  une donation-partage pour un bien situé en Italie. Il va falloir faire d’abord un acte en Italie qui sera ensuite incorporé à un acte de donation-partage en France.

 

Il résulte de cet entretien un véritable imbroglio juridique et fiscal. Cela paraît totalement incompréhensible à Monsieur et Madame Dupont alors qu’il y a 2 millions de français qui vivent à l’étranger, que 1 français sur 7 épouse une personne de nationalité étrangère et que par exemple, dans la Silicon Valley, 22.000 ingénieurs français sont installés.

 

Ce phénomène de mondialisation des familles ne fait que s’accélérer au fil des années ;  chacun d’entre nous connaît un ami dont au moins un des enfants est installé de façon définitive dans un pays étranger et même souvent en-dehors de l’Union Européenne.

 

La non-adaptation du système fiscal européen à ce phénomène de société est regrettable et entraîne un rejet par les citoyens, qui sont aussi des contribuables, de la mondialisation de l’économie et de la construction européenne.

 

Présidence française de l’Union, une opportunité de simplification

 

On peut néanmoins rêver : la France va prendre la présidence de l’Union Européenne en janvier 2022 ; ne pourrait-elle pas considérer la solution de cet imbroglio juridique comme une de ses priorités ?

Parallèlement, les différents candidats à la future élection présidentielle qui commencent à envahir les plateaux de télévision, ne pourraient-ils pas s’emparer de cette question et proposer une généralisation des conventions afin d’éviter une double imposition, de manière à résoudre cet épineux problème pour de nombreux français ?

 

Mais le prêteur va-t-il se souvenir de ces petites choses ?

 

 

Bernard MONASSIER
Notaire Honoraire

Vice-Président du Cercle des Fiscalistes

 

 

(1)  ou encore « de minimis non curat lex », adage de droit romain."La loi ne se soucie pas des choses mineures".