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mercredi 28 août 2019

Non, la détention du patrimoine n’est pas un paradis fiscal en France !

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 L'idée, très largement répandue dans l'opinion publique, selon laquelle le capital est insuffisamment taxé ne résiste pas à l'épreuve des faits. La taxation du capital intervient à différentes étapes : lors de sa constitution, pendant sa détention et également à la sortie du patrimoine du contribuable, dans des proportions qui placent la France, parmi les Etats membres de l'OCDE, sur les plus hautes marches du podium de la taxation du capital.


 Depuis le mois de novembre 2018, la mobilisation d’une fraction importante de la population française contre les inégalités fiscales a fait la une des médias du monde entier.

Nos concitoyens expriment une fois de plus leur « ras-le-bol fiscal » : c’est une constante dans notre histoire nationale. Périodiquement, le Peuple descend dans la rue pour faire connaître son mécontentement face au système fiscal en place.

Depuis la Grande Jacquerie de 1358, en passant par la Jacquerie de Faucigny en 1492, la révolte des Rustauds en 1524, ou celle des Croquants en 1643, sans oublier les émeutes paysannes de 1788 ou les insurrections de 1848, celles des vignerons de l’Aude en 1907, et, plus près de nous, les émeutes Poujadistes dans les années 1955 et 1956, et encore plus récemment, la révolte des Bonnets Rouges contre les péages autoroutiers, notre histoire est émaillée de ces soulèvements populaires qui font vaciller le pouvoir politique ou quelquefois débouchent sur une véritable révolution.

Ces manifestations de colère sont sympathiques à l’opinion publique. Il suffit de se rappeler le succès du roman Jacquou le Croquant avant-guerre et de son adaptation en feuilleton télévisé il y a quelques années.

Les « Gilets jaunes » dénoncent une taxation insuffisante du capital en France

Comme leurs prédécesseurs, les « Gilets jaunes » ont repris des thèmes populistes : il faut faire payer les riches et pour cela, ils dénoncent une taxation insuffisante du capital en France. Ils seraient certainement étonnés d’apprendre que la déclaration au Peuple Français des Communards, en date du 19 avril 1871, demandait « que tout le poids de l’impôt tombe sur les richards ». Quant aux électeurs d’Emmanuel Macron, dont certains se retrouvent chez les « Gilets jaunes », ils ne savent peut-être pas que ce thème est récurrent au sein du Parti Communiste ; il suffit pour cela de se rappeler la une du journal L’Humanité du 27 septembre 1936 : « Ce sont les Riches qui doivent payer ».
Depuis quelques mois, chacun y va de sa solution magique, de la plus réaliste à la plus farfelue, véritable inventaire à la Prévert ou catalogue pour postuler au concours Lépine.

Observer le taux d’imposition du capital par rapport aux normes de l’OCDE

Pour avoir une opinion plus objective, il faut regarder comment est taxé actuellement le capital en France, vérifier son taux d’imposition par rapport aux normes de l’OCDE.
Une erreur fréquente lorsque l’on traite de ce sujet est de ne pas recenser les différents types de taxation du capital.

Le capital peut être imposé :  
- lors de sa constitution
- lors de sa détention
-       - lors de sa sortie du patrimoine du contribuable.

Certains pays économiquement développés ont décidé d’exonérer l’une ou l’autre de ces taxations, comme la taxation lors de la sortie du patrimoine par décès. La France, quant à elle, a opté depuis un temps certain pour une taxation à tous les niveaux : c’est là déjà une curiosité au sein des pays de l’OCDE.



Taxation lors de la constitution d’un capital

La constitution d’un patrimoine par acquisition à titre onéreux donne lieu à une imposition fiscale en France.

IMMOBILIER
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          - Ainsi, l’acquéreur d’un bien immobilier se voit dans l’obligation de verser un impôt dénommé « droits d’enregistrement » (improprement appelé « frais de notaire ») de l’ordre de 6 %, ce qui représente une imposition de l’ordre de 0,65 % du PIB contre une moyenne pour ce type d’imposition de 0,4 % au sein des pays de l’OCDE.

Seule la Belgique connaît un taux supérieur à cette moyenne avec une taxe de 1,1 % de son PIB pour ce type d’imposition.

ACTIONS ET PARTS DE SOCIÉTÉS       
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        - L’acquisition de droits sociaux (parts de SARL ou actions de sociétés anonymes non cotées) donne lieu également à la perception d’un droit d’enregistrement qui varie de 3 % pour des parts de SARL, à 0,1 % plafonné à 10 000 € pour les sociétés anonymes (SA) et les sociétés par actions simplifiées (SAS).

Là aussi, la France se distingue par rapport aux autres pays membres de l’OCDE où ce type d’acquisition, la plupart du temps ne déclenche aucune taxation comme par exemple en Belgique.
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        - Quant aux achats d’actions cotées, en France elles supportent un impôt lors de l’achat, au taux de 0,1 %, si elles sont constatées au sein d’un écrit ; impôt totalement inconnu dans la plupart des pays de l’OCDE.

TRANSACTIONS ET TRADING
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        - D’autre part, il existe en France une taxe sur les transactions financières, une taxe sur les opérations à haute fréquence réalisées par le truchement de dispositifs de traitements informatisés et une taxe sur les contrats d’échange sur défaut.
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Des impositions inconnues dans le reste de l’OCDE

Ces différentes impositions, généralement inconnues par les pays de l’OCDE, comportent des assiettes et différents taux non négligeables.

À titre d’exemple, il faut rappeler que la seule taxe sur les transactions financières comporte un taux fixe de 0,3 %.

Le premier constat à établir après ce bref rappel des principales taxations pour acquérir un patrimoine à titre onéreux, est la complexité du système et son manque d’homogénéité entre les différents systèmes applicables : cela nécessite bien évidemment le recours à un spécialiste, d’où un coût complémentaire pour le contribuable.

       
 → On a pu s’apercevoir de plus que pour chaque type d’impôt le prélèvement fiscal français était supérieur à la moyenne constatée dans les pays membres de l’OCDE.


Mais qu’en est-il pour la détention du patrimoine ?


Taxation lors de la détention d’un capital

Les « Gilets Jaunes » se sont fait les chantres du rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) supprimé par le Président Emmanuel Macron.

À les entendre sur les chaînes d’information continue, la détention d’un capital ne serait pas taxée ou insuffisamment taxée : qu’en est-il en réalité ?

IMMOBILIER

Regardons en premier lieu le régime fiscal de la détention d’un bien immobilier : celle-ci déclenche chaque année la perception d’un impôt – voire de deux dans certains cas.
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       - De quoi s’agit-il ? Tout propriétaire d’un bien immobilier doit supporter annuellement le paiement d’un impôt dénommé impôt foncier dont le taux – dans une certaine fourchette fixée par la loi – est plus ou moins important selon les collectivités locales pour lesquelles il constitue une recette essentielle.

Cet impôt qui ne tient compte ni des charges familiales ni des revenus du contribuable, représente une recette annuelle de plus de 32 milliards d’euros.

Selon le conseil des prélèvements obligatoires, cela représente 6 % des prélèvements obligatoires en France contre en moyenne 3,3 % pour ce type d’impôt au sein de l’OCDE (en Allemagne l’impôt foncier représente 1 % des prélèvements obligatoires).
Pour mémoire, il n’est pas sans intérêt de rappeler que l’ISF, autre impôt sur le capital, supprimé en 2018, avait rapporté au Trésor Public en 2017 un peu plus de 5 milliards d’euros environ.

-          - Par ailleurs, les détenteurs d’un patrimoine immobilier supérieur à 1 300 000 € sont en outre, depuis 2019, assujettis à un nouvel impôt dénommé IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière qui a remplacé l’ISF) dont le taux d’imposition, à partir de 10 000 000 € de patrimoine, atteint
1,50 %.

L’IFI a rapporté au Trésor Public plus d’1 milliard d’euros. Cela signifie par conséquent que les propriétaires de biens immobiliers ont supporté globalement une imposition d’environ 34 milliards d’euros, ce qui représente une somme quasi-équivalente à la moitié du montant du montant de l’impôt sur le revenu perçu en France (rappelons que le revenu des actifs immobiliers est taxé en France avec la CSG au taux marginal à plus de 50 %).

      
Dans ces conditions, soutenir que la détention du patrimoine en France serait un vrai paradis fiscal constitue des propos difficilement compréhensibles.


PATRIMOINE MOBILIER

Il faut cependant admettre que depuis la suppression de l’ISF, la propriété d’un patrimoine mobilier n’est plus taxée en France comme c’est le cas dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE à l’exception de la Suisse, de la Norvège, de l’Espagne, et dans une certaine mesure des Pays-Bas.

Regardons comment est appliqué cet impôt dans ces différents pays :
  •  En Suisse : cet impôt a un taux variable selon les cantons et dans tous les cas, ce taux est inférieur à 1,50 % - taux marginal français de l’IFI.
  •  En Norvège, le taux marginal ne dépasse pas 0,85 %
  • Quant aux Pays-Bas, on applique une imposition sur la détention du patrimoine mais aussi sur les revenus calculée sur le revenu théorique dudit capital. Ce mélange de type d’imposition ne permet pas une comparaison réelle avec le système français. 
  • Seule l’Espagne connaît depuis 2011 un système de taxation de détention du capital un peu comparable à l’ancien ISF français.
    Cependant, il faut rappeler que cet impôt sur la détention du capital en Espagne ne représente que 0,3 % des prélèvements obligatoires espagnols contre 0,5 % en France du temps de l’ISF

Ce rapide tour d’horizon permet de comprendre que notre pays n’est pas un paradis fiscal quant à la détention du capital par rapport aux autres pays membres de l’OCDE.



Taxation du capital lors de sa sortie du patrimoine

La sortie du capital du patrimoine du contribuable entraîne en France la perception de différents impôts dénommés : taxation sur les plus-values, droits de partage et droits de succession.

TAXATION SUR LES PLUS-VALUES

En matière de plus-value, on constate la multiplicité des régimes de taxation :
  • taxation sur les plus-values professionnelles avec son lot de régimes particuliers et dérogatoires
  • taxation sur les plus-values personnelles avec un régime pour les plus-values mobilières, un autre pour les plus-values sur vente de meubles et enfin pour les plus-values immobilières.

Pour compliquer encore cela, dans chacune de ces catégories, il existe des dérogations et des systèmes spéciaux.
C’est un véritable maquis qui nécessite l’intervention d’un professionnel et donc un coût pour le contribuable.
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        - Dans le cas des plus-values sur valeurs mobilières, depuis 2018, il existe un régime souvent décrié, la flat tax qui consiste en un prélèvement forfaitaire de 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et de 17,20 % au titre des contributions sociales, soit un total de 30 %.
Il ne faut pas oublier de préciser qu’au-delà d’un certain montant de plus-values, ce prélèvement n’est pas forfaitaire : un impôt complémentaire peut être demandé, pouvant atteindre 4 %, ce qui porte le prélèvement à 34 %.

-       - Quant aux plus-values immobilières, elles comportent bien évidemment un certain nombre de régimes spécifiques et dérogatoires extrêmement complexes.
Pour y échapper, il faut détenir le bien depuis plus de 30 ans (c’est-à-dire depuis une génération) pour l’impôt sur les prélèvements sociaux et depuis plus de 22 ans pour l’impôt sur le revenu.
Là encore, cette complexité nécessite l’intervention d’un professionnel qui représente donc un coût pour le contribuable.
Ces plus-values immobilières subissent une taxation de 19 % au titre de l’impôt sur le revenu et de 17,20 % au titre des prélèvements sociaux. Cependant, si ces plus-values dépassent 50000 €, il peut y avoir un prélèvement complémentaire demandé au contribuable pouvant atteindre 6 %.

-          Il faudrait évoquer également la taxation des œuvres d’art, antiquités ou métaux précieux : le régime fiscal est différent selon la nature de l’objet cédé.
La cession de métaux précieux supporte un taux forfaitaire de 11 % sur le prix de la cession ; quant aux bijoux, objets d’art, de collection ou d’antiquité, le taux appliqué est de 6 % sur le prix de cession.
Néanmoins, si le contribuable peut prouver qu’il est propriétaire de ces biens depuis plus de 22 ans, il y a exonération. Mais là encore, il est souvent nécessaire de faire appel à un professionnel, ce qui représente un certain coût.

-       - Pour être exhaustif, il ne faudrait pas oublier le régime fiscal de la taxation de la cession de meubles autres que des valeurs mobilières, d’objets d’arts, de métaux précieux. Dans ce cas, le taux de taxation est de 19 % auxquels s’ajoutent les prélèvements sociaux à un taux de 17,20 % ; néanmoins, il peut y avoir une exonération fiscale si ces biens sont détenus depuis une durée de 22 ans et non de 24 ans comme en matière de plus-value immobilière.
Le régime de ces différentes taxations selon la nature du bien cédé démontre sa complexité, difficilement, compréhensible pour un contribuable ignorant de ces subtilités fiscales.

DROITS DE SUCCESSION

Le capital peut sortir du patrimoine par décès ; il y alors perception de droits de succession.
Certains, y compris dans la majorité parlementaire, réclament aujourd’hui l’augmentation de cet impôt.

Il faut pourtant rappeler qu’il représente actuellement 1,2 % des prélèvements obligatoires en France contre 0,34 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

D’aucuns préconisent même que le taux marginal d’imposition entre parents et enfants au titre des droits de succession soit porté à 45 % en oubliant simplement que c’est le régime actuel au-delà d’un patrimoine de 1 805 677 € hérités par enfant.

Bien entendu, il est nécessaire de rappeler que chacun des enfants bénéficie d’un abattement de 100 000 € pouvant être utilisé pour une donation ou une succession, et que cet abattement se renouvelle tous les 15 ans, ce qui signifie que cet abattement peut être utilisé au maximum 2 à 3 fois dans une vie.

DROITS DE PARTAGE

Le décès entraîne fréquemment la mise en place d’une indivision entre les enfants qui nécessite un acte de partage dont les droits d’enregistrement sont de 2,50 % ; taxation quasiment inconnue fiscalement dans les autres pays membres de l’OCDE.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’un certain nombre de pays économiquement développés tels que le Portugal, l’Autriche, la Norvège, la Suède, l’Islande, ainsi que 15 autres pays membres de l’OCDE, ne perçoivent aucun impôt au moment du décès.

Quant aux Etats qui ont maintenu une fiscalité liée à la disparition d’un contribuable, ils appliquent des franchises avant taxation très supérieures aux franchises en vigueur en France : 400 000 € en Allemagne en ligne directe, au lieu de 100 000 € en France, 1 000 000 € en Italie) ainsi qu’une progressivité beaucoup plus favorable au contribuable.
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En France, le taux marginal de taxation de 45 % en ligne directe est atteint au-delà d’un patrimoine de 1 805 677 € alors qu’en Allemagne le taux marginal maximum de 30 % ne s’applique qu’à partir d’un patrimoine de 26 millions d’euros.

Enfin, pour comparer la fiscalité des successions, il faudrait comparer les assiettes taxables : par exemple, les systèmes d’évaluation des biens immobiliers en Allemagne prévoient une décote substantielle alors qu’en France ces biens sont taxés sur leur valeur vénale.


La sortie du capital du patrimoine d’un contribuable apparaît donc là aussi comme plus largement taxée en France que dans les autres pays.

La France se singularise également dans ce domaine ; cela se traduit par un prélèvement pour ce type d’impôt de 0,61 % du PIB contre une moyenne européenne de 0,22 % du PIB.

 

Conclusion

 Chaque pays pour être compétitif et attractif doit disposer d’un système fiscal comparable à celui de ses compétiteurs.

On a vu qu’à chaque stade – constitution, détention, cession – le capital en France subissait une imposition supérieure à la moyenne des pays économiquement développés.

L’addition de tous ces prélèvements sur le capital à tous les stades fait apparaître globalement que dans les pays membres de l’OCDE, cela représente 1,82 % du PIB contre 4,4 % en France.

Ces chiffres ne sont peut-être pas totalement exacts car il n’est pas sûr que certaines taxations du capital aient été prises en compte par les experts de l’OCDE comme les droits de partage.

Dans ce décompte, il n’est pas non plus pris en considération l’intervention nécessaire d’un professionnel vu la complexité de notre fiscalité dans ce domaine.

 Il serait utile que les zélateurs de l’augmentation de l’imposition du capital relisent l’ouvrage de Monsieur Piketti sur les hauts revenus. Ils constateraient que pour l’année 1990, seules 50 successions avaient un actif supérieur à 10 millions d’euros alors qu’en 1914 il y avait 50 successions qui avaient un actif, en euros constants, supérieur à 40 millions d’euros.

Cet auteur conclut d’ailleurs ce chapitre consacré à ce problème de la façon suivante : « il devient évident que les fortunes du passé ont largement disparu après 1945 ».

Le Sénat, dans un rapport de mars 2019 a également établi que notre pays ne comprend plus que 1 200 foyers fiscaux ayant un patrimoine supérieur à 15 millions d’euros.

 La taxation du capital (confuse, compliquée, illisible), les guerres, les crises économiques, ont donc laminé les fortunes françaises, voilà le constat qui ressort de ces rappels statistiques.

Si les « Raisins de la Colère » qui ont jeté une fraction de la population dans les rues de la capitale, débouchent sur une hausse de la taxation du capital à quelque que niveau que ce soit, c’est un appauvrissement du pays auquel il faudra s’attendre car, sans capitaux, il n’y a pas de développement, pas d’investissements, pas de formation.



Me Bernard Monassier, Président de BM Familly Office et vice-président du Cercle des Fiscalistes



Contribution parue dans "LES INTOX FISCALES – Pour en finir avec les idées reçues", Cercle des Fiscalistes (Editions Francis Lefebvre)