Translate

vendredi 10 août 2018

Succession Hallyday : déshériter ses enfants, un anachronisme ?



 La succession de Johnny Hallyday suscite des commentaires les plus contradictoires par des spécialistes le plus souvent autoproclamés.
 
 Pour attirer l’attention de l’opinion publique, d’aucuns n’hésitent pas à propos de ce fait divers médiatique à s’élever contre la notion de réserve héréditaire figurant dans notre Code Civil.
Selon ces détracteurs, il s’agirait d’un anachronisme à supprimer en s’inspirant de la législation américaine.

Ne faut-il pas cependant se demander si ces pseudo-réflexions juridiques sont véritablement légitimes et nécessaires ?

 La réserve héréditaire, principe juridique datant du droit romain, fait partie de notre droit positif depuis près de 10 siècles !!!

 Sous l’Ancien Régime, dans toutes les régions françaises régies par un droit écrit, c’est-à-dire en réalité pratiquement la moitié de notre territoire national actuel, on connaît la règle de « la légitime ».

Ce dispositif juridique correspond en fait à notre notion de réserve héréditaire.

 Il faut également rappeler que dans la quasi-totalité des états continentaux de l’Union Européenne, il existe – avec des nuances selon les États – une disposition juridique comparable.


Aussi, dans ces conditions, vouloir la suppression de cette institution juridique, c’est aller à l’encontre de notre histoire, de notre système de valeur, de notre patrimoine culturel, en un mot c’est vouloir déboulonner une de colonnes du temple sur lequel repose notre civilisation d’origine gréco-romaine partagée avec la plupart des pays de l’Union Européenne.

Néanmoins, certains ne manqueront pas de rappeler que déjà à Athènes, Solon affirmait la nécessité d’accommoder en permanence la loi au temps, aux normes du moment.

Au nom de ce postulat communément admis, ils affirment que nous ne sommes plus à l’époque de la Domus romaine, du lignage moyenâgeux, de la famille patriarcale, de la notion d’une sorte de copropriété familiale à travers les générations

L’adage : « on hérite pour transmettre à la génération suivante » ne serait plus d’actualité et de notre époque.

Ce raisonnement est-il vraiment conforme aux nécessités de la société française en ce début de 21ème siècle ?

Pour le vérifier, il suffit d’interroger l’opinion publique.

Depuis plus de 50 ans, divers organismes publics ou privés réalisent des sondages d’opinion  sur l’opportunité de supprimer la mesure de réserve héréditaire dans notre droit positif. Les résultats sont éloquents : en général en permanence, plus de 85 % des personnes interrogées se déclarent favorables à son maintien.

Si on interrogeait la communauté des Notaires, confrontés tous les jours à cette question, ils confirmeraient à la quasi-unanimité l’attachement viscéral de leurs clients à cette institution millénaire.

Revenons un instant à la succession de Johnny Hallyday. On constate que l’opinion publique semble, confusément, prendre parti pour ses enfants au détriment de son épouse.

Déshériter ses propres enfants paraît à la vox populi comme une mesure contre nature.

Le peuple aurait-il plus de bon sens que ces prétendus spécialistes ? Pourquoi pas ?

Ils comprennent inconsciemment que derrière cette volonté d’abattre ce dogme du Code Civil, il y a des enjeux sociétaux importants. Ils n’ignorent pas de plus que le Code Civil n’est pas un carcan.

La succession de Johnny Hallyday, à défaut de stipulations testamentaires particulières, se serait répartie à plus de 60 % au profit de Laeticia et de ses filles adoptives.

Avec l’accord de ses enfants majeurs, il pouvait aller plus loin et avantager encore plus ses filles adoptives et son conjoint en respectant un certain formalisme protecteur de la liberté contractuelle.

Les commentateurs semblent oublier tout cela ; les conseils du chanteur le savaient-ils ?

Modifier une institution conforme à notre histoire, à nos mœurs, à nos usages, respectueux de la liberté contractuelle, serait rompre le contrat social entre l’Etat et le citoyen.

Ces thurifaires d’un système juridique anglo-saxon devraient réfléchir avant de prôner une telle révolution copernicienne.

Ils devraient se souvenir de cette phrase prophétique de Montesquieu dans « De l’Esprit des lois » :

« Il est quelquefois nécessaire de changer certaines institutions
mais le cas est rare et lorsqu’il arrive, il n’y faut y toucher que d’une main tremblante ».

Bernard MONASSIER
                                                                                       Président de BM FAMILY OFFICE
                                                                         Vice-Président du Cercle des Fiscalistes

Article paru dans Les Échos le 10 août 2018