La succession de Johnny Hallyday suscite des commentaires les plus
contradictoires par des spécialistes le plus souvent autoproclamés.
Pour attirer l’attention de
l’opinion publique, d’aucuns n’hésitent pas à propos de ce fait divers
médiatique à s’élever contre la notion
de réserve héréditaire figurant dans notre Code Civil.
Selon ces détracteurs, il
s’agirait d’un anachronisme à supprimer en s’inspirant de la législation
américaine.
Ne faut-il pas cependant se
demander si ces pseudo-réflexions juridiques sont véritablement légitimes et nécessaires ?
La réserve héréditaire, principe juridique datant du droit romain,
fait partie de notre droit positif depuis près de 10 siècles !!!
Sous l’Ancien Régime, dans toutes
les régions françaises régies par un droit écrit, c’est-à-dire en réalité
pratiquement la moitié de notre territoire national actuel, on connaît la règle
de « la légitime ».
Ce dispositif juridique
correspond en fait à notre notion de réserve héréditaire.
Il faut également rappeler que
dans la quasi-totalité des états continentaux de l’Union Européenne, il existe
– avec des nuances selon les États – une disposition juridique comparable.
Aussi, dans ces conditions,
vouloir la suppression de cette institution juridique, c’est aller à l’encontre de notre histoire, de
notre système de valeur, de notre patrimoine culturel, en un mot c’est
vouloir déboulonner une de colonnes du temple sur lequel repose notre
civilisation d’origine gréco-romaine partagée avec la plupart des pays de
l’Union Européenne.
Néanmoins, certains ne manqueront
pas de rappeler que déjà à Athènes, Solon affirmait la nécessité d’accommoder
en permanence la loi au temps, aux normes du moment.
Au nom de ce postulat communément
admis, ils affirment que nous ne sommes plus à l’époque de la Domus romaine, du lignage moyenâgeux, de
la famille patriarcale, de la notion d’une sorte de copropriété familiale à
travers les générations
L’adage : « on hérite pour transmettre à la génération
suivante » ne serait plus d’actualité et de notre époque.
Ce raisonnement est-il vraiment
conforme aux nécessités de la société française en ce début de 21ème
siècle ?
Pour le vérifier, il suffit d’interroger
l’opinion publique.
Depuis plus de 50 ans, divers
organismes publics ou privés réalisent des sondages d’opinion sur l’opportunité de supprimer la mesure de réserve
héréditaire dans notre droit positif. Les résultats sont éloquents : en
général en permanence, plus de 85 % des
personnes interrogées se déclarent favorables à son maintien.
Si on interrogeait la communauté
des Notaires, confrontés tous les jours à cette question, ils confirmeraient à
la quasi-unanimité l’attachement viscéral de leurs clients à cette institution
millénaire.
Revenons un instant à la
succession de Johnny Hallyday. On constate que l’opinion publique semble, confusément, prendre parti pour ses enfants
au détriment de son épouse.
Déshériter ses propres enfants
paraît à la vox populi comme une
mesure contre nature.
Le peuple aurait-il plus de bon sens que ces prétendus
spécialistes ? Pourquoi pas ?
Ils comprennent inconsciemment
que derrière cette volonté d’abattre ce dogme du Code Civil, il y a des enjeux
sociétaux importants. Ils n’ignorent pas de plus que le Code Civil n’est pas un
carcan.
La succession de Johnny Hallyday,
à défaut de stipulations testamentaires particulières, se serait répartie à
plus de 60 % au profit de Laeticia et de ses filles adoptives.
Avec l’accord de ses enfants
majeurs, il pouvait aller plus loin et avantager encore plus ses filles
adoptives et son conjoint en respectant un certain formalisme protecteur de la liberté contractuelle.
Les commentateurs semblent
oublier tout cela ; les conseils du chanteur le savaient-ils ?
Modifier une institution conforme
à notre histoire, à nos mœurs, à nos usages, respectueux de la liberté
contractuelle, serait rompre le contrat
social entre l’Etat et le citoyen.
Ces thurifaires d’un système juridique anglo-saxon devraient réfléchir
avant de prôner une telle révolution copernicienne.
Ils devraient se souvenir de
cette phrase prophétique de Montesquieu dans « De l’Esprit des lois » :
« Il est
quelquefois nécessaire de changer certaines institutions
mais le cas est rare
et lorsqu’il arrive, il n’y faut y toucher que d’une main tremblante ».
Bernard MONASSIER
Président
de BM FAMILY OFFICE
Vice-Président
du Cercle des Fiscalistes
Article paru dans Les
Échos
le 10 août 2018