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jeudi 20 février 2020

Réforme du droit de partage : un acte manqué ?




 La langue française est réputée pour sa clarté, sa concision.

Hélas, il arrive, comme l’écrivait Saint-Exupéry, que le langage exprimé pourtant en langue française, soit source de malentendus.

En 2011, Monsieur Jérôme Cahuzac, alors Président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, avait organisé l’audition de certains professionnels de la sphère juridique et judiciaire.

Dans ce cadre, il m’avait interrogé, à la fin de mon intervention, sur la possibilité d’augmenter les recettes fiscales étatiques. J’avais suggéré une augmentation du droit d’enregistrement perçu lors du partage des successions et des indivisions de toutes natures. Je proposais de porter le taux à 1,50 %.

Le conseil fut entendu et quelques jours plus tard, les députés votaient quasiment sans débat cette augmentation de recettes.

Le droit d’enregistrement porté à 2,50 %

Hélas, trois fois hélas, mauvaise élocution de ma part, ou mauvaise transcription de mon intervention, le texte mis aux voix prévoyait un taux de 2,50 % et non de 1,50 %.
Cette hausse excessive suscita un tollé de protestations chez les professionnels du Droit et en particulier au sein du corps notarial.

Etant à l’origine de cette bévue, j’ai tenté d’alerter les parlementaires et les gouvernements successifs, sur les conséquences néfastes de cette mesure. Ces appels ne reçurent aucun écho favorable pendant plusieurs années : il s’agissait d’une disposition peu médiatisée.

Finalement, en 2019, après une première vague tentative en 2018, la voix de la raison s’est fait entendre. Le Parlement a enfin compris que trop d’impôt tue l’impôt au vu de l’évolution des recettes perçues au titre de ce droit de partage :
-        
           - en 2011, les recettes étaient de 327 millions
-        - et, en 2018, de 624 millions.

Or, durant cette période, le prix de l’immobilier, principale assiette de cet impôt, a augmenté par exemple à Paris de près de 30 %. Cela signifie que les recettes fiscales liées à cet impôt stagnaient en réalité si on prend en compte que durant cette période l’inflation était de l’ordre de 10 %.

Corriger cette erreur paraissait aisé. Il suffisait de revenir à la proposition initiale.

Mais pourquoi faire simple lorsque l’on peut faire compliqué ?

Le taux à 1,5 % pour une catégorie de partages

Au lieu de modifier le taux pour tous les types de partage, on a réservé la réforme aux partages consécutifs à un divorce, à une séparation, ou à la rupture d’un PACS. Les partages de successions en sont exclus ainsi que les donations-partages contenant réintégration de donations antérieures pour rétablir une égalité entre les enfants.

Etrange ostracisme : on connaît avec le régime de l’indivision qui sévit en
Corse depuis Napoléon par suite d’une disposition fiscale de cette époque, les conséquences économiques, psychologiques et financières désastreuses du maintien dans l’indivision des biens reçus par succession.

Une réduction par palier sur deux ans

Plus grave encore : le nouveau texte prévoit une réduction par palier : 1.80 % en 2021 et 1,10 % en 2022. A quelles répercussions faut-il s’attendre ? : une baisse progressive des actes de partage suite à une diminution durant les années 2020, 2021. Aucun professionnel ne pourra en conscience conseiller à ces clients d’établir un acte de partage en 2020 par exemple au taux de 2,5 % alors qu’en 2022 le taux sera de 1,10 %.

Corriger un quiproquo : excellente décision. Malheureusement, la solution mise en œuvre fait preuve d’une absence de sens pratique, de bon sens.
Cela contribuera au rejet de la classe politique, et du système fiscal : lapsus révélateur ? Acte manqué ?

A chacun de se faire une opinion.


Me Bernard MONASSIER
Notaire Honoraire
Vice-Président du Cercle des Fiscalistes