Les vacances sont
l’occasion de lire ou de relire des livres, articles de presse, mis de côté
tout au long de l’année.
Cet été, je n’ai pas
manqué de sacrifier à cette tradition.
Au milieu de tous ces
romans, biographies, ouvrages philosophiques, économiques, politiques, l’un
d’entre-eux m’a particulièrement marqué.
Il s’agit du roman,
partiellement autobiographique, de Daniel Pennac Mon Frère. Il a
suscité en moi souvenirs et réflexions.
En dehors de son
originale et tellement authentique définition du rôle, de la mission de la
fonction notariale, il m’a fait revenir en mémoire des souvenirs oubliés
depuis plus de 50 ans, remontant à mon premier stage notarial dans une Etude
semi-rurale en Poitou.
J’ai revu en
pensée ces dactylos, dénommées expéditionnaires, recopiant à longueur de
journée, sur de vieilles machines à écrire « underwood » des
originaux d’actes notariés pour faire des copies à destination des clients ou
des hypothèques.
Pour éviter les
erreurs, après rédaction, ces collaboratrices consciencieuses et méticuleuses
procédaient à une lecture à voix haute en duo avec un collègue, l’une lisant la
copie, l’autre suivant sur l’original.
Ce travail fastidieux,
dénommé collationnement était caractéristique du travail d’exécution dans les
offices notariaux.
Il y a 60 ans,
c’est-à-dire en 1958, personne n’aurait pu imaginer concevoir que 15 ans plus
tard cette activité traditionnelle serait balayée par l’arrivée d’appareils
divers et variés dénommés Rank Xerox, Canon, etc…
Aucun scénario de
prospective ne laissait envisager la disparition de ces cohortes de fidèles
collaboratrices, et pourtant aujourd’hui les jeunes générations dans les Études
notariales ont oublié jusqu’au mot de « collationnement ».
« Souvenirs, Souvenirs » aurait dit Johnny Hallyday.
Au-delà
de la nostalgie d’une époque révolue, on peut se demander si les nouveaux
progrès technologiques, les évolutions de la société, ne sont pas en train de
préparer une révolution encore plus fondamentale que la disparition des
expéditionnaires ?
De quoi s’agirait-il ?
Les spécialistes de l’information nous prédisent dans un délai inférieur à
10 ans, l’arrivée sur le marché de robots intelligents capables de collecter
les informations, les traiter, et à partir de là de
rédiger des contrats tels des ventes immobilières. .
Ces
actes, plus proches d’un contrat d’adhésion que d’un contrat sui generis,
devraient entraîner une réaction des pouvoirs publics quant à la tarification
des émoluments des notaires.
Vers un tarif quasi-forfaitaire des actes de vente ?
On
pourrait assister à la mise en place d’un tarif quasi-forfaitaire pour la
majorité des actes de vente.
Cette
éventualité ne paraît pas impossible vu un système un peu similaire déjà en
place dans les pays anglo-saxons.
Réduction
drastique de la rémunération, mais aussi « en même temps » diminution
du nombre de transactions immobilières, tel pourrait être demain un scénario
catastrophe.
En
effet, on assiste à un phénomène de société qui prend son essor
rapidement : on préfère de plus en
plus l’usage d’un bien à sa propriété ; on renonce à acquérir sa
voiture et on préfère une location à courte ou longue durée ; les
entreprises multiplient les opérations de crédit-bail immobilier et mobilier,
les propositions d’acquisition de l’usufruit de biens immobiliers, les baux
emphytéotiques se multiplient.
Plus
grave, face à la nécessaire mobilité professionnelle, on considère chez les
jeunes générations que la propriété de son logement pourrait être un frein à la
réussite professionnelle en retardant la possibilité de saisir des opportunités
de changement de profession et de lieux de résidence.
Parallèlement,
on constate à l’inverse la constitution d’une
sorte de propriété de mainmorte avec
le développement des structures juridiques détenant des patrimoines
considérables comme les SCPI, les OPCI, les SCIC, les SICOMI.
Plus
grave encore peut-être, c’est la conception de la place de l’immobilier dans le
patrimoine des Français par la majorité politique actuelle, celle-ci ne
paraissant pas, à l’inverse de ses prédécesseurs depuis 70 ans, vouloir
favoriser l’accession à la propriété des
classes moyennes.
Le
maintien de l’impôt sur la fortune sur les biens immobiliers, la suppression de
la taxe d’habitation et son corollaire obligatoire, l’augmentation de l’impôt
foncier, le blocage des loyers dans les grandes métropoles semblent confirmer
cette orientation.
Quelles évolutions pour le notariat ?
Le
notariat, conçu, organisé par la loi de ventôse pour être le garant de la
pérennité de la propriété foncière pourrait voir une de ses dispositions
essentielles s’écrouler au fil des ans.
Un notaire réalisant 70 % de son chiffre d’affaires dans l’immobilier
demain, cela sera peut-être une image d’Épinal. Faut-il la craindre ?
Il faut
se souvenir qu’au 18ème siècle l’activité immobilière était
marginale dans le notariat. Le notaire était d’abord un conseil, un
gestionnaire du patrimoine.
Il est peut-être temps d’y réfléchir.
A défaut, il pourrait connaître un jour le sort
des expéditionnaires.
Mais faisons confiance aux Politiques de la
profession.
La Politique n’est-elle pas « l’art de rendre possible ce qui est
souhaitable » ?
Me Bernard MONASSIER
Notaire Honoraire
Vice-Président du Cercle des Fiscalistes