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jeudi 8 novembre 2018

Nostalgie et prémonition




Les vacances sont l’occasion de lire ou de relire des livres, articles de presse, mis de côté tout au long de l’année.
 
Cet été, je n’ai pas manqué de sacrifier à cette tradition.

Au milieu de tous ces romans, biographies, ouvrages philosophiques, économiques, politiques, l’un d’entre-eux m’a particulièrement marqué.

Il s’agit du roman, partiellement autobiographique, de Daniel Pennac Mon Frère. Il a suscité en moi souvenirs et réflexions.

 En dehors de son originale et tellement authentique définition du rôle, de la mission de la fonction notariale, il m’a fait revenir en mémoire des souvenirs oubliés depuis plus de 50 ans, remontant à mon premier stage notarial dans une Etude semi-rurale en  Poitou.

 J’ai revu en pensée ces dactylos, dénommées expéditionnaires, recopiant à longueur de journée, sur de vieilles machines à écrire « underwood » des originaux d’actes notariés pour faire des copies à destination des clients ou des hypothèques.

 Pour éviter les erreurs, après rédaction, ces collaboratrices consciencieuses et méticuleuses procédaient à une lecture à voix haute en duo avec un collègue, l’une lisant la copie, l’autre suivant sur l’original.

Ce travail fastidieux, dénommé collationnement était caractéristique du travail d’exécution dans les offices notariaux.

Il y a 60 ans, c’est-à-dire en 1958, personne n’aurait pu imaginer concevoir que 15 ans plus tard cette activité traditionnelle serait balayée par l’arrivée d’appareils divers et variés dénommés Rank Xerox, Canon, etc…

Aucun scénario de prospective ne laissait envisager la disparition de ces cohortes de fidèles collaboratrices, et pourtant aujourd’hui les jeunes générations dans les Études notariales ont oublié jusqu’au mot de « collationnement ».

 « Souvenirs, Souvenirs » aurait dit Johnny Hallyday.

Au-delà de la nostalgie d’une époque révolue, on peut se demander si les nouveaux progrès technologiques, les évolutions de la société, ne sont pas en train de préparer une révolution encore plus fondamentale que la disparition des expéditionnaires ?

De quoi s’agirait-il ?

Les spécialistes de l’information nous prédisent dans un délai inférieur à 10 ans, l’arrivée sur le marché de robots intelligents capables de collecter les informations, les traiter, et à partir de là de rédiger des contrats tels des ventes immobilières.                   .

Ces actes, plus proches d’un contrat d’adhésion que d’un contrat sui generis, devraient entraîner une réaction des pouvoirs publics quant à la tarification des émoluments des notaires.

Vers un tarif quasi-forfaitaire des actes de vente ? 

On pourrait assister à la mise en place d’un tarif quasi-forfaitaire pour la majorité des actes de vente.
Cette éventualité ne paraît pas impossible vu un système un peu similaire déjà en place dans les pays anglo-saxons.

Réduction drastique de la rémunération, mais aussi « en même temps » diminution du nombre de transactions immobilières, tel pourrait être demain un scénario catastrophe.

En effet, on assiste à un phénomène de société qui prend son essor rapidement : on préfère de plus en plus l’usage d’un bien à sa propriété ; on renonce à acquérir sa voiture et on préfère une location à courte ou longue durée ; les entreprises multiplient les opérations de crédit-bail immobilier et mobilier, les propositions d’acquisition de l’usufruit de biens immobiliers, les baux emphytéotiques se multiplient.

Plus grave, face à la nécessaire mobilité professionnelle, on considère chez les jeunes générations que la propriété de son logement pourrait être un frein à la réussite professionnelle en retardant la possibilité de saisir des opportunités de changement de profession et de lieux de résidence.

Parallèlement, on constate à l’inverse la constitution d’une sorte de propriété  de mainmorte avec le développement des structures juridiques détenant des patrimoines considérables comme les SCPI, les OPCI, les SCIC, les SICOMI.

Plus grave encore peut-être, c’est la conception de la place de l’immobilier dans le patrimoine des Français par la majorité politique actuelle, celle-ci ne paraissant pas, à l’inverse de ses prédécesseurs depuis 70 ans, vouloir favoriser l’accession à la propriété  des classes moyennes.

Le maintien de l’impôt sur la fortune sur les biens immobiliers, la suppression de la taxe d’habitation et son corollaire obligatoire, l’augmentation de l’impôt foncier, le blocage des loyers dans les grandes métropoles semblent confirmer cette orientation.

Quelles évolutions pour le notariat ? 

Le notariat, conçu, organisé par la loi de ventôse pour être le garant de la pérennité de la propriété foncière pourrait voir une de ses dispositions essentielles s’écrouler au fil des ans.

Un notaire réalisant 70 % de son chiffre d’affaires dans l’immobilier demain, cela sera peut-être une image d’Épinal. Faut-il la craindre ?

Il faut se souvenir qu’au 18ème siècle l’activité immobilière était marginale dans le notariat. Le notaire était d’abord un conseil, un gestionnaire du patrimoine.

Il est peut-être temps d’y réfléchir. 

A défaut, il pourrait connaître un jour le sort des expéditionnaires. 

Mais faisons confiance aux Politiques de la profession.

La Politique n’est-elle pas « l’art de rendre possible ce qui est souhaitable » ?

Me Bernard MONASSIER
Notaire Honoraire
Vice-Président du Cercle des Fiscalistes