« L'amendement augmentera considérablement le poids de l'IFI pour certains redevables. » Photo de Kamilla Isalieva sur Unsplash |
Dans le projet de loi de finances 2024, une proposition du groupe socialiste pour amender une règle de calcul de l'impôt sur la fortune immobilière a été retenue par le gouvernement. Un amendement inégalitaire et confiscatoire, s'inquiètent les acteurs du secteur.
Tribune collective
Un amendement relatif à l'impôt sur la fortune immobilière
(IFI), émanant de députés socialistes, a été retenu par le
gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2024. Son objectif
affiché est d'harmoniser l'assiette de cet impôt entre les assujettis qui
possèdent un patrimoine immobilier en direct, et ceux qui le détiennent par
l'intermédiaire d'une société.
La règle énoncée depuis la création
de l'IFI veut que l'associé soit imposé en appliquant à la valeur des titres
sociaux, déterminée en tenant compte de l'ensemble des dettes de la société, le
pourcentage que représente la valeur des immeubles sociaux non affectés à
l'activité professionnelle par rapport à son actif brut. Elle a pour objet
d'éviter que ne donne prise à l'impôt la fraction de la valeur des titres qui
correspond aux fonds engagés par la société pour mener son activité
d'entreprise.
On voudrait aujourd'hui ouvrir une
brèche dans ce juste équilibre. L'amendement se compose de deux alinéas. Le
premier interdit toute déduction du passif, lors de l'évaluation des titres
sociaux, hormis celui afférent à des immeubles imposables. Le second précise
qu'en tout état de cause, l'assiette imposable à l'IFI ne devra pas dépasser la
valeur vénale des titres de la société.
Poids de l'IFI
Il est d'abord inquiétant de noter
la présence d'un plafonnement visant à éviter que le redevable ne soit imposé
sur une valeur excédant celle des titres qu'il détient. Ceci suggère que le
dispositif pourrait produire cet effet absurde. Par ailleurs, l'amendement
augmentera considérablement le poids de l'IFI pour certains redevables, et
engendrera, au lieu de la supprimer, une inégalité de traitement sans aucune
logique économique ou fiscale.
Démonstration par l'exemple :
l'associé d'une société détenant une entreprise valant 9 millions et un
immeuble non utilisé par elle de 1 million peut actuellement déduire tout
le passif dans l'évaluation de ses titres. Supposons que le passif social soit
égal à 9 millions, dont 1 million afférent à l'immeuble, la valeur
des parts est alors de 1 million (10-9). Sur cette dernière est ensuite
appliqué le coefficient immobilier (ici 1/10). L'assiette de l'IFI est donc
actuellement de 100.000 euros.
Si l'amendement est adopté, la
valeur des titres sera déterminée sans tenir du compte du passif, autre que
celui afférent à l'immeuble, et sera réputée égale à 9 millions, sur
lesquels sera appliqué le coefficient immobilier (ici toujours 1/10). L'assiette
IFI sera portée à 900.000 euros. Alors que si ce contribuable détenait le
même patrimoine (entreprise et immeuble) soit à titre personnel, soit dans deux
sociétés distinctes, son assiette IFI serait égale à zéro puisque l'entreprise
n'est pas imposable et que le passif afférent à l'immeuble se déduirait de la
valeur de celui-ci.
Amendement
inconstitutionnel
Cet amendement aboutirait à
transformer la nature de l'IFI, qui ne serait plus un impôt sur l'immobilier,
mais un impôt sur les sociétés détenant de l'immobilier, assis sur l'actif
brut, et pénalisant les sociétés endettées, qui sont souvent des jeunes entreprises en croissance. Il
produirait des effets aberrants, en incitant ou obligeant à sortir des actifs
immobiliers de certaines sociétés, engendrant des coûts et des lourdeurs qui
viendraient aggraver la crise de l'immobilier et donc du marché locatif.
En outre il serait sans doute
considéré comme contraire à la Constitution. Car primo, il introduirait une
répartition inégale de l'impôt entre les redevables de l'IFI, en défavorisant
ceux qui détiennent de l'immobilier à travers une société, sans que cette
discrimination ait un objectif rationnel. Et secundo, pour ces contribuables,
l'IFI ne pourrait plus, dans bien des cas, être réglé avec les revenus du
patrimoine. Il est généralement admis qu'un tel impôt sur le capital est un impôt confiscatoire. Inégalitaire et
confiscatoire, l'amendement cumulerait les hérésies juridiques qui viendraient
s'ajouter à des effets économiques aberrants et inquiétants.
Les signataires :
Gilles Bonnet, notaire
associé étude KL Conseil, membre du Cercle des fiscalistes.
Philippe Bruneau, président du
Cercle des fiscalistes.
Olivier Dauchez, avocat
associé Gide Loyrette Nouel, membre du Cercle des fiscalistes.
Jean-François Desbuquois, avocat
associé Fidal, membre du Cercle des fiscalistes.
Bernard Monassier,
vice-président du Cercle des fiscalistes.
Jean-Yves Mercier, avocat
honoraire, vice-président du Cercle des fiscalistes.
Frédéric Poilpré, directeur
général délégué Officium Asset Management, membre du Cercle des fiscalistes.
Jérôme Turot, avocat,
vice-président du Cercle des fiscalistes.
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